
L'agriculture syntropique, c'est quoi ?
Origine
L’agriculture syntropique ou agroforesterie successionnelle est née au Brésil. Elle a été conceptualisée dans les années 80 par Ernst Götsch, agriculteur et chercheur suisse, qui a tout au long de sa vie développé des techniques qui concilient production agricole et régénération du paysage et des sols au Brésil.
L'agriculture syntropique, c'est d'abord et avant tout un changement de perspective. C'est une nouvelle proposition de lecture de l'écosystème qui permet à l'agriculteur de chercher ses réponses en utilisant un autre raisonnement, bien différent de celui auquel nous sommes habitués. L'agriculture syntropique est constituée d'un cadre théorique et pratique dans lequel les processus naturels sont traduits en interventions agricoles dans leur forme, leur fonction et leur dynamique
Son application pratique est visible sur la ferme d'Ernst (Bahia, Brésil), avec la recomposition de 410 hectares de terres dégradées, la résurgence de 14 sources et la réapparition d’espèces de la faune indigène.
Pour plus d'information, rendez-vous sur https://agendagotsch.com
L’agriculture syntropique vise à créer des agro-écosystèmes productifs imitant les écosystèmes naturels des milieux environnants (la forêt sous nos latitudes), en termes de structure (densité et stratification spatiale des espèces), de dynamique (succession des espèces dans le temps et perturbation) et de fonctionnement.
“C’est remplacer une agriculture d’intrants par une agriculture de processus.” - Ernst Götsch
Elle tire son origine dans les formes d’agriculture ancestrales, comme décrites par Pero Vaz de Caminha, écrivain portugais qui était à bord du bateau qui découvrit le Brésil en 1500. Chaque année, les indigènes brésiliens créaient des clairières dans la forêt en y coupant des arbres pour cultiver des plantes annuelles (maïs, manioc, etc.). L’année suivante, ils créaient une nouvelle clairière et laissaient la précédente repousser. Ils travaillaient ainsi avec les processus naturels et dynamiques de la forêt, qui permettent de créer de la fertilité.
Un des principes de l'agriculture syntropique est de trouver les plantes adaptées au terrain, et non de forcer le terrain à s’adapter aux cultures qu’on a décidé de développer.

Life in Syntropy - Agenda Götsch
Que veut dire "syntropique" ?
La syntropie est l’antonyme de l’entropie, qui est un phénomène tendant au désordre, à la destruction, à la simplification. La syntropie signifie au contraire de tendre vers l'organisation et la complexification du vivant, l’osmose entre chaque espèce vivante, tout comme la nature s’organise formidablement entre toutes ses espèces. Chaque espèce du vivant a une fonction et une place, elle s’organise naturellement et tend vers un processus énergétique positif.
Par exemple, le feu est un processus entropique, alors que la photosynthèse est un processus syntropique.
Principes de base de l’agriculture syntropique : STRATIFICATION, SUCCESSION et PERTURBATION
Dans la nature, les processus syntropiques se font naturellement dans des environnements concaves, où il peut notamment y avoir accumulation de matière organique et d’eau, alors que les processus entropiques se font dans les endroits convexes, par exemple au sommet des montagnes.
Les environnements concaves sont propices à la création de vie : ils retiennent l’humidité où des espèces pionnières peu exigeantes comme des mousses peuvent s’installer. Ces premières espèces vont couvrir le sol et ainsi empêcher le soleil d’atteindre directement la roche. Cela créer un environnement idéal pour les micro-organismes, qui peuvent commencer à s’installer et à dégrader la roche mère : c’est le processus naturel de création de sol.
Stratification
Pour optimiser la production de matière organique du système, il faut maximiser la photosynthèse et donc la surface de captation de lumière. Dans une forêt naturelle, chaque espèce occupe une strate de l’espace. Pour simplifier, on classifie en 4 strates :
Strate émergente : espèces qui ne tolèrent pas l’ombre
Strate haute : espèces qui tolèrent un peu d’ombre
Strate moyenne
Strate basse : espèces qui tolèrent mal l’ensoleillement direct
Ces strates ne sont pas définies par la hauteur des arbres mais par leur besoin en lumière. On s’applique à planter des espèces qui vont remplir ces strates selon les proportions suivantes (en surface projetée au sol) : 20% pour la strate émergente, 40% pour la strate haute, 60% pour la strate moyenne et 80% pour la strate basse (ces proportions sont théoriques et données à titre indicatifs : elles dépendent des systèmes et des besoins en lumières des plantes choisies).
La plantation est donc beaucoup plus dense que dans une plantation classique.

Succession écologique et perturbation
L’agriculture syntropique introduit la notion de succession naturelle des espèces selon des cycles (placenta → secondaire → climax) qui se répètent indéfiniment. Les espèces se succèdent en fonction de leurs besoins et exigences en eau, en nutriments, en structure du sol, etc. Au fur et à mesure que s'enchaînent ces cycles, le sol gagne en épaisseur et en fertilité et permet l’apparition et l’épanouissement de plantes plus complexes.
A la phase placenta, des plantes à cycles de vie courts se développent et vont créer les conditions à l’arrivée de la phase suivante. Ces plantes vont fournir à l’écosystème un sol plus riche, de l’ombre, des barrières protectrices aux prédateurs, et c’est donc au sein de ce placenta que vont émerger les plantes du stade suivant. A la phase secondaire interviennent des plantes à croissance un peu plus lente, avant de laisser la place aux plantes de la phase climax, qui occuperont le système une fois celui-ci arrivé à maturité. Ainsi après chaque étape, les conditions de vie sont meilleures et préparent la phase suivante.
Mais la succession ne s’arrête pas là. Après une perturbation, le cycle va recommencer, mais en partant cette fois d’un niveau de fertilité plus haut. Dans la nature, les perturbations sont effectuées par des animaux, par le feu, le vent, la foudre, etc. et le système peut stagner pendant de longs moments avant de passer au stade suivant. Dans un système productif, on cherche à accélérer ce processus : les perturbations sont réalisées par l’homme. Ainsi, par la taille régulière, on recherche à créer un effet de dynamique sur l'ensemble du système grâce à l'entrée de lumière dans le système et le retour au sol de matière organique. De plus, lorsque l’on coupe un végétal, il produit des hormones de croissance comme l’acide gibbérellique, qui stimule sa croissance. Or dans un système naturel où toutes les plantes sont mycorhyzées, on peut supposer que ces substances sont transmises aux autres végétaux par ces connexions dans le sol. Ceci pourrait favoriser la croissance : c’est ce qu’on peut appeler information de croissance ou information de clairière.
Ces cycles de succession tirent le système vers plus de diversité, de complexité et d’abondance. Ils permettent au système de supporter une quantité et une qualité de vie consolidée croissante. Cette complexité croissante est associée à une évolution de “système” en trois longues étapes successives :
Système de colonisation : c’est l’installation de la vie. Cette phase est dominée par des plantes et organismes qui peuvent vivre en milieu hostile et extrême. Dans le sol, ce système est caractérisé par une population bactérienne plus importante que la population de champignon.
Système d’accumulation : ce stade est caractérisé par une biocénose peu diversifiée, peu complexe, comme dans la garrigue. C’est un système qui produit beaucoup de bois (lignine) et peu d’azote (petites feuilles) : il est caractérisé par l’implantation de plantes à ratio C/N élevé. Plus le système évolue, plus ces réserves accumulées dans le sol permettront aux végétaux d’avoir plus d’énergie disponible pour produire de la matière riche en azote. C’est le passage à la phase suivante.
Système d’abondance : petit à petit, l’énergie du système va être employée à la diversification et la complexification, plutôt qu’à l’accumulation de matière organique. Le système va produire une matière de plus en plus riche en azote (facile à digérer) et de plus en plus pauvre en lignine : c'est le développement de végétaux au ratio C/N bas et l'apparition des grands herbivores. La biodiversité et la taille des organismes augmentent, et la proportion de champignons prend le dessus par rapport aux bactéries dans le sol. L’efficacité de la photosynthèse va arriver à son optimum et c’est la phase où la productivité de l’écosystème atteint son maximum, et où les cycles se déroulent très rapidement.
L’objectif de l’agriculture syntropique est d’amener le système à l’abondance ! Le travail va donc constituer à accélérer les processus naturels.
Et en pratique ?

L'agriculture syntropique, c'est d'abord et avant tout un changement de perspective. C'est une nouvelle proposition de lecture de l'écosystème qui permet à l'agriculteur de chercher ses réponses en utilisant un autre raisonnement, bien différent de celui auquel nous sommes habitués. C'est une philosophie avec le respect du vivant au cœur des préoccupations. Respecter la nature, c’est respecter l’humain, car l’être humain fait partie intégrante de la nature. Le lien entre la nature et les Hommes, c’est la dynamique essentielle de ce type d’agriculture. Le but est de créer l’abondance et l’ordre dans les écosystèmes, et non pas de contrarier la nature, la dénaturer comme le fait plus que jamais l’agriculture classique, utilisant des engrais chimiques et des pesticides, entraînant la malheureuse destruction des écosystèmes et l'épuisement des sols. Favoriser la vie est la meilleure façon de faire lien avec la nature, en respectant sa merveilleuse intelligence. Plus que jamais, nous avons besoin de recréer ce lien essentiel avec la nature, car nous ne pouvons pas vivre sans elle.
Dans l’agriculture syntropique, aucun fertilisant ni produit chimique, et pas d’irrigation dans la mesure du possible. Le but est de limiter au maximum les apports exogènes. Néanmoins, pour que la plantation démarre bien, on s'autorise à fertiliser et à irriguer à la plantation. Ensuite, si une plante installée se plaît, qu’elle se développe naturellement, c’est que le terrain est propice à son expansion et que les conditions nécessaires à son développement sont réunies. Si elle ne s’y plait pas, elle ne se développe tout simplement pas. L’agriculteur a pour objectif d’optimiser la dynamique de croissance.
In fine, le système a vocation à être autonome en terme de fertilisation, grâce aux plantes ayant un rôle de production de biomasse. Ces plantes sont régulièrement taillées et la matière fraiche est restituée au sol de manière organisée (avec le plus de contact avec le sol). Cela permet un apport de matière organique en même temps qu'une entrée de lumière dans le système.
